Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Les frères maudits de Mary-Laure Zoss

Julien Bury

C’est une poésie âcre, comme de la « neige fumée ». Sans compromis, sans joliesse ni rien de trop évidemment « poétique ». Dans les pages de Ceux-là qu’on maudit, dernier recueil de poèmes de la Vaudoise Mary-Laure Zoss, pas de « rose », de « lune », « d’étoiles », mais du dur, de l’âpre, des plaques de neige, des battues dans les sous-bois, du béton.

Ces paragraphes sans points, sans majuscules déroulent une écriture compacte qui essaie de résister, d’échafauder quelque chose, de maintenir vivante la langue. La poésie, chez Mary-Laure Zoss, est une lutte pour conserver le langage, seul viatique pour se sauver de l’étouffement.

On ne sait qui parle, dans ces pages. Il est question de mauvais garçons, des petits voleurs qui battent la campagne. Ces éclopés qui cherchent leur subsistance et manient le couteau pour se distraire. Leur rire est fêlé. Ce sont nos frères, nos « damnés jumeaux ».

Les pauvres hères aimeraient « s’esbigner », s’échapper, mais se retrouvent « écroués » au réel, comme de petits oiseaux pris au piège sur un « gluau », une planche enduite de glu utilisée par les chasseurs pour les capturer. Chez Zoss, le monde est toujours confinement, prison… Pour résister, ils « s’égosillent », « gueulent », mais leur verbe est « corseté au point mort » et leur voix s’égratigne.

Le rythme de l’écriture de Mary-Laure Zoss rappelle les soliloques des personnages de Beckett ou de Thomas Bernhard. On ne sait pas où l’on erre, en la lisant, peut-être dans les campagnes du Jura-Nord vaudois : c’est l’hiver, quelques indices indiquent un froid boréal, des forêts de résineux, des pentes abruptes et des basses combes venteuses. Le chantier d’une galerie de protection, à flanc de montagne. Ce climat mystérieux contribue, pour beaucoup, à la séduction de ces textes.

Mais il n’y a rien de misérabiliste ni de « voulu » dans cette noirceur ontologique. On y trouve, à chaque page, de la beauté. Mary-Laure Zoss s’obstine à « redresser l’être devant l’amertume », et à nous ouvrir au monde : « Vient l’heure, tandis que tu resserres dans les coffres du sous-bois la limaille d’un silence roux, d’héberger l’inattendu. »

J.B.

Voir l’article sur le site de L’Hebdo :
http://www.hebdo.ch/hebdo/culture/detail/les-fr%C3%A8res-maudits-de-mary-laure-zoss