Victor Hugo avait conseillé à Charles Baudelaire, qui venait le visiter place Royale, d’aller à la campagne. L’énoncé était de bon sens, et peut paraître contradictoire quand le poète des Fleurs du mal passe aujourd’hui pour un homme de la ville. Mais la première édition des Fleurs du mal comporte aussi cette étrangeté : le nom d’Alençon. Qu’allait donc faire ce poète parisien en Normandie ? C’est l’adresse d’un éditeur, Auguste Poulet-Malassis, le seul avec qui Baudelaire ait pu traiter en ami, qui l’y a mené.
Baudelaire à la campagne est l’histoire d’un lien profond entre un poète et son éditeur. En redonnant la parole aux proches de Baudelaire, on obtient une autre image, une figure différente de celles, multiples, que le mythe a imposées. Parmi celles-là, au premier chef, celle du poète maudit, voué aux drogues et à l’errance solitaire. En suivant Baudelaire en province, on le voit quitter pour quelques jours l’habit du citadin.
Baudelaire a passé à Alençon des jours de travail, de fête et de repos. Au Baudelaire bipolaire, ivre, malade, échoué, endetté et épuisé — figure suffisamment exploitée par la petite bourgeoisie — tiraillé entre Paris et Bruxelles, l’essai de Bernard Baillaud oppose un Baudelaire à Alençon, ville à cédille, vouée à la broderie et à la toile, adonnée, aujourd’hui encore, à l’imprimerie.
Auguste Poulet-Malassis a donné son nom à un catalogue de quelques dizaines de titres, peuplé d’amis, cénacle ou phalange, mais sans souci d’école, que l’éditeur historique avait su réunir.
Il n’y a pas de poésie, dans le monde moderne, sans éditeurs de poésie. Il ne saurait peut-être y avoir d’amitié littéraire sans livre qui, un jour, en témoigne.