Ce livre de Jean Roudaut est dédié à la mémoire d’Hervey de Saint-Denys (1822 – 1892), sinologue de renom connu surtout pour ses recherches sur le sommeil et les rêves, les rêves lucides en particulier (rêves durant lesquels le rêveur a conscience d’être en train de rêver) dont il est question dans son livre Les Rêves et les moyens de les diriger.
Considérant que « ce n’est pas le sommeil qui est semblable à la mort mais l’éveil qui réintroduit le rêveur dans le dissolu », Jean Roudaut propose une réflexion littéraire autour du rêve afin de saisir « ce qui en lui relève de la révélation, celle qui fait qu’on nous parle, d’une autre voix que celle de la raison ».
Multipliant les approches du rêve, et sans occulter les pensées qui ont tenté avant lui d’en apprivoiser le mystère, d’Artémidore d’Éphèse à Freud, Jean Roudaut invite, avec ce mixte de tact et de large savoir qui blasonne ses livres, à une sorte de phénoménologie du rêve dans ses méandres, ses épaisseurs et ses connexions troubles à l’éveil et la raison. Rêveur et lecteur, écrivain de ses rêves et grand rêveur de livres, Jean Roudaut se confronte et nous introduit à la fois à son expérience singulière et à l’histoire des rêves d’encre et de papier.
« La littérature et le rêve », est la partie centrale du livre. C’est « l’exploitation que fait la littérature du récit de rêve » qui retient ici l’auteur, à partir des trois domaines qui ont constitué les modèles du rêve : celui de la tragédie classique, celui de la Bible, et celui d’Homère. Il y est question de la présence des récits de rêves dans les œuvres de Corneille, de Descartes, de Pascal, de Hugo, Balzac, de Baudelaire, de Nerval, de Nodier, de Rimbaud, de Proust, de Rousseau, de Zola, de Pierre Jean Jouve, de Butor…
Ce qui se recueille au matin, avec les précautions que prennent les alchimistes pour la rosée, avait été vu dans une clarté supérieure à l’intelligence. Tout était cohérent, évident et nécessaire. Le rêve vécu est absolu ; raconté, il est discontinu. C’est qu’en fait le rêve est une forme vécue de l’éternité ; il est d’une lumière égale sur tout, sans ombre, remarque Nerval. Les aspects mondains, sueur et peur, de la mort ne s’inscrivent pas en lui. Et en ce sens ce n’est pas le sommeil qui est semblable à la mort ; mais l’éveil qui réintroduit le rêveur dans le dissolu. […]
J. R.