Postface : « Captivités », par Vincent Pélissier
Il faut rappeler que Dolorès Marat a depuis longtemps photographié beaucoup d’animaux — sans pour cela risquer le moins du monde l’emploi de photographe animalière —, et que toujours ils sont affectés de solitude. Il existe bien dans son album certaines images d’ensembles, un vol d’oiseaux, une troupe de cavaliers, mais ils sont si lointains, si disséminés dans l’étendue d’un désert ou d’un ciel, qu’à leur tour et collectivement ils sont très seuls. Et il ne s’agit donc jamais de photographies de singes, de girafes, de hiboux, mais de celles d’un sujet singulier, élu dans sa solitude, et même, glissons un peu sur la pente anthropomorphe, dans sa déréliction malheureuse. Son tropisme est non pas celui des animaux dans leur état dit sauvage mais de ceux que le monde a intégrés à ses pauvres machineries de loisir, ceux que l’on peut sentir tristes au fond d’une cage, d’un zoo : des reliques, des reclus, des captifs abandonnés à la curiosité de visiteurs pressés, et auxquels elle accorde une forme de dignité sans occulter mais en suggérant seulement leur condition à nos pensivités. Ces sujets de Jardin des plantes ont été précurseurs annonçant aux hommes vers quoi ils s’avançaient, ayant perdu à la fois leur place native et libre au sein de la Création et leur métier utile à nos mœurs, travaux, postes, présages, émissaires. On en est d’ailleurs maintenant à leur procurer des visionnages numérisés pour se causer d’une cage à l’autre et se figurer à quoi ils ressemblent en décédant d’ennui mais fortement excités dans l’engouement du réseau.
Vincent Pélissier
Ce livre a été publié avec le soutien de la MAP auprès de laquelle Dolorès Marat a entamé un processus de donation de son œuvre photographique en 2019.