Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Jérôme Prieur, au Fantascope avec les incroyables et les merveilleuses

Jean-Didier Wagneur

Cinéaste et écrivain, Jérôme Prieur, qui a signé Vivre dans l’Allemagne en guerre récemment diffusé sur France 5, avait réalisé en 2011 Vivement le cinéma, un film étonnant sur l’histoire du cinéma… depuis le Directoire. Lanterne magique sous-titré « avant le cinéma », en est le prolongement et renoue avec la passion de l’auteur pour une personnalité aujourd’hui inconnue du public mais qui eut son heure de gloire au XIXe siècle : Etienne-Gaspard Robert, dit Robertson, né à Liège le 15 juin 1763 et mort aux Batignolles le 2 juillet 1837, connu comme l’inventeur des fantasmagories lumineuses qu’il réalisait avec son Fantascope.

Son tombeau au Père Lachaise est une version louis-philipparde des actuels décors gore des séries à sorcières. Esprits, fantômes, diables griffus et cornus rappellent la mémoire d’un homme qui fut un véritable enchanteur de son temps. C’était un physicien, comme on disait à l’époque du magnétisme et des expériences macabres qui sont, pour les incroyables et les merveilleuses comme l’ombre portée de la Révolution. Mais il fut aussi un véritable aéronaute qui, avant le Géant de Nadar, avait imaginé des ballons-villes s’élevant vers le soleil — Jules Vernes et Robida l’ont certainement lu.

Avec le Fantscope, il faisait revenir les morts, immergeait le spectateur dans un monde où des visages grimaçants surgissaient avant de se dissiper en fumée, voix d’outre-tombe et trucages préfigurant ceux de Méliès donnaient l’impression du mouvement. Tout cela dans une crypte sépulcrale où s’entendaient des bruits angoissants. Aller chez Robertson, c’était faire une expérience, participer à une « révolution mentale ».

Pourtant ce livre n’est ni une biographie ni un traité d’optique latérale, mais un fantastique essai littéraire qui traite de l’image, de la lumière et de la nuit, en un mot de la grande passion du spectateur. Jérôme Prieur y entrelace les Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques du physicien-aéronaute E_G Robertson, autobiographie du fantasmagore, à tout un ensemble de témoignages qui vont de Jean-Jacques Rousseau à Hoffmann. Tout commence par l’invention de la lanterne magique attribuée le plus souvent au révérend père jésuite Atanase Kircher, un polyglotte allumé de sciences dont les livres sont un plongée dans les abîmes de l’erreur et des légendes. Mieux vaut suivre dans la campagne la silhouette du colporteur savoyard qui, avec ses almanachs et ses potions, n’omet jamais de se munir de sa lanterne pour quelques séances. Et très vite retrouver Golo et Geneviève de Brabant dans le célèbre passage de La Recherche où brille une lanterne « dont, en attendant l’heure du dîner, on coiffait ma lampe ; et à l’instar des premiers architectes et maîtres verriers de l’âge gothique, elle substituait à l’opacité des murs d’impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané. » Cette lanterne, Robertson en a transcendé la puissance d’illusion.

Construit par courts chapitres, le montage de Lanterne magique touche notre civilisation de l’image et du spectacle : « Je voulais comprendre cette mutation qui avait affecté l’espèce humaine quand un train s’était mis à foncer sur les clients du Grand Café », explique Jérôme Prieur en introduction. Aussi est-ce un livre d’anthropologie où l’auteur convoque histoire, science, littérature pour saisir, avec style, ce qui s’est passé quand un jour l’image est devenue mouvement.

Lanterne magique

Avec Lanterne magique, Jérôme Prieur nous propose une réflexion sur l’émergence, en plein siècle des Lumières, d’une pratique dont les ressorts occultes sont néanmoins essentiels : celle des projections publiques de lanterne magique qui débutent durant l’An VI, c’est-à-dire en 1797 – 1798. Cette archéologie du cinéma passe par celle de l’image lumineuse à partir de deux livres, Du côté de chez Swann de Marcel Proust et les Mémoires d’Étienne-Gaspard Robertson (1763 – 1837), l’inventeur de la fantasmagorie qui fit carrière sous le Directoire et le Consulat quand les lanternes magiques sont connues depuis la fin du XVIIe siècle.  On connaît bien le premier, la fameuse série de six plaques de lanterne magique racontant

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