Presque inconnue en France, Novella Cantarutti (1920 – 2009) nous parvient à travers un recueil de poèmes écrits en frioulan, qu’elle avait réunis provenant d’œuvres de plusieurs époques et qu’elle avait elle-même traduits en italien, cela dans l’ouvrage intitulé, en frioulan, Cencia sunsûr (2008). Un titre que commente en ces termes Serge Airoldi :
Littéralement : Sans bruit. C’est-à-dire : En silence. En italien : Rituale sommesso. En français, plusieurs traductions de cette proposition-là sont possibles, évidemment. Sourd rituel, Rituel enfoui, peut-être Rituel intime.
Dans le rituel de ce silence, que se passe-t-il ?
Lisons ces textes tels qu’ils nous sont donnés, traduits et présentés par Serge Airoldi.
Soit d’abord cette page :
Il prât
Come pavèa
tun prât di erbi” seàdi”
ch’a lénc” i fustegóns
c ‘a na si pòa,
j” mi torni a cjantâ
la flaba muarta :
ce ch’j na fói
ta la brama da jessi.
Un prât savût di falc”
e un svuàl adált.
Il prato
Come farfalla
Su un prato d’erbe falcate,
che lambisce le stoppie
e non si posa,
torno a cantarmi
la fiaba finita :
quello che non fini
nel desiderio d’essere.
Un prato esperto di falce
e un volo in alto.
Le pré
Comme un papillon
dans un pré d’herbes fauchées,
qui longe les chaumes
et jamais ne se pose,
je fredonne
la fable accomplie :
tout ce qui n’advint pas
dans le désir de vivre.
Un pré qui a connu la faux
et un vol dans les hauteurs.
Lisant chaque poème de ce recueil, nous entrons dans la fascination d’une langue apparemment orale et abrupte et dans celle de deux traductions, la première en italien, que l’on doit donc à Novella Cantarutti elle-même, et la deuxième en français due à Serge Airoldi. Celle-ci nous fait donc entendre les poèmes à travers le filtre de l’italien, lequel revêt l’autorité de l’auteur.
C’est la langue parlée dans une large partie de l’Italie du Nord, la lenga furlana, le frioulan ou furlan, ou plutôt c’est l’un de ses dialectes, précise Serge Airoldi, en usage dans une population minuscule de la région du Frioul-Vénétie Julienne, celle de Navarons, hameau isolé dans la commune de Meduno.
Pour qui ne connaît pas l’italien mais peut se fier à l’espèce de familiarité d’une langue latine — ce recueil est fait pour lui —, cette page met à l’épreuve la traduction en elle-même, et il peut s’étonner, par exemple, qu’en français la fable soit qualifiée d”« accomplie » alors que l’original la déclare « muarta » et que l’italien déjà l’atténuait en « finita ». Comment une fable peut-elle mourir ? En finissant ou en s’accomplissant ou en mourant d’elle-même, comme meurent les dieux ? Quelle fable ? La traduction doit se prononcer sur le sens. Celle de Cantarutti suggérait que l’été déployait des illusions et celle d’Airoldi, jouant sur la précédente, que l’automne voit la résolution dramatique de cette histoire.