Dans Petit enfer de Turin, l’écrivain italien prend pour personnage sa ville natale, dont il livre un portrait amoureux au fil de souvenirs, de confidences et de digressions narratives ou méditatives. Promenade avec un maître du fragment.
Le sous-titre de Petit enfer de Turin, le dernier livre de Guido Ceronetti publié en français par les Editions Fario – Feuilles dispersées, restaurées –, conviendrait quasiment à tous les livres de cet auteur protéiforme, journaliste-chroniqueur, homme de théâtre, marionnettiste, aphoriste, romancier, poète, traducteur incomparable du grec, du latin et de l’hébreu, « citoyen de Jérusathènes » comme il se définit lui-même. Ce maître dans l’art de raconter des histoires toujours vraies, même si l’imagination leur donne des couleurs, fait partie de ces écrivains de la confession du moi intime et généreux – tels Montaigne, Stendhal ou Proust – qu’il est impossible de dissocier de leur œuvre : il faut l’accompagner dans ses promenades en le lisant. On lui sait gré de nous faire voyager et prendre l’air.
Ceronetti a été inventé en français par Cioran, qui fut son ami et fit traduire Le silence du corps en 1983 à Paris ; il continua sa route de ce côté-ci des Alpes pendant une vingtaine d’années en publiant plusieurs titres, parmi lesquels Le lorgnon mélancolique (1990), La patience du brûlé (1994), Un voyage en Italie (1996), Albergo Italia (2003). Puis, après un long silence, voilà que nous parvient cet almanach de souvenirs, de pensées et d’émotions, une pièce en plusieurs actes qui a pour personnage principal la ville natale de l’auteur, Turin.
C’est en Toscane, dans la région de Sienne, que nous nous sommes rencontrés, dans un village à l’orée de l’Ombrie où il a posé ses livres, ses crayons et ses pinceaux il y a trente ans. Pour une fois, j’avais avec moi une liste de questions, mais la fougue digressive du solide lettré me coupa l’herbe sous le pied. J’emboîtai volontiers le pas au vétéran journaliste de La Stampa, qui avait son bureau et son lit de camp au grand quotidien de Turin pendant trente ans, et me laissai emporter dans le flot joyeux d’une conversation anarchique. Le livre qu’il a écrit dont il se sent le plus proche ? « Ma traduction de l’Ecclésiaste. » Ne serait-il pas un laïque qui aurait le sens du sacré ? « Plutôt un religieux aconfessionnel. » Maître dans l’art du fragment, tout chez lui revient à raconter des histoires, à témoigner, homme parmi les hommes : « Comme dans la Bible, où tout est source de poésie, de philosophie, d’histoire, où les personnages abondent…»