Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

À partir de textes appartenant aux mémoires historiques ou à la littérature (ceux de Napoléon Ier, de Cavalié-Mercer, de Custine, Saint-Simon, Montesquieu, Pouchkine) ; à partir de l’œuvre de Marx qui, nous rappelle-t-il, a séjourné en France ; à la suite de Boris Souvarine établissant des parallèles entre le régime policier russe du tsar Nicolas Ier et le régime communiste de l’URSS de Staline, Pierre Bergounioux définit ce que, considérant ce qu’en ont écrit parmi d’autres Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, on a appelé l’« âme russe »   quand Custine regarde précisément les Russes comme « des machines incommodées d’une âme ».

S’interrogeant sur les raisons de la disparition du « socialisme réel », dont l’hypothèse la plus courante incrimine, avec Karl Wittfogel, le despotisme oriental, Bergounioux convoque les analyses d’Eric Hobsbawm : les bolcheviks « ont cru possible de passer du féodalisme au socialisme en escamotant le stade capitaliste », et de John Kenneth Galbraith : « L’égalité du partage a guidé le législateur soviétique mais la faiblesse de l’appareil productif est telle qu’il n’y a rien ou presque à partager ».

Cependant, selon Bergounioux, « rien n’éclaire l’histoire d’un peuple comme sa littérature ». Si bien que c’est vers elle qu’il faut se tourner pour comprendre la Russie, la terreur qui la gouverne. Et quand il s’agit de distinguer les écrivains français et les écrivains russes, un trait revient, implacable : « C’est le péril que [ces derniers] encourent à simplement dire ce qui est. » Aussi « c’est le stalinisme qui a tué Essenine, Maïakovski, Marina Tsvetaïeva, envoyé Soljenitsyne et Chalamov au goulag, étouffé, au nom du “réalisme socialiste”, l’expression approchée, authentique de l’expérience à quoi tend, d’âge en âge, la littérature si elle est bien révélation, délivrance. »

Pierre Bergounioux relie ainsi les interventions de l’artiste Piotr Pavlenski à l’héritage de ses compatriotes : « Un artiste russe, parce que russe et non pas français, doit payer d’exemple, de sa personne. La chose qu’il dévoile est redoutable. C’est l’État, cet organe qui, selon Max Weber, “monopolise l’usage de la violence physique légitime” ». Et c’est bien contre Poutine et les oligarques qui ruinent à leur tour le peuple russe que Pavlenski s’élève car, envers et contre tout, « l’aspiration millénaire à la justice, à l’égalité, à la liberté, si elle a disparu de la surface du sol, n’en continue pas moins de cheminer sous terre ».

Creusons.

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Pierre Bergounioux

Pierre Bergounioux, c’est indubitable, est né à Brive. Ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes, lauréat du Prix Alain-Fournier (1986) et

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