De la gare de départ, la station Quartier-Léopold, il ne reste aujourd’hui qu’une façade. Depuis Bruxelles on était acheminé par le fer jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg via Namur. Les entrepreneurs anglais qui construisaient cette ligne, la 162, au mitan du dix-neuvième siècle, prévoyaient de la prolonger jusqu’aux Indes. Mais il est arrivé aux rêves de l’expansion infinie – ou presque, mettons – que la vitesse et les changements qu’ils fomentaient leur ont été pour ainsi dire retournés et que les prodiges dont ils faisaient promesses sont devenus désuets, inutiles et dépérissants. Ainsi de la poignée de gares — et avec elles l’ombre portée de villes ou de quartiers dans l’ambiance d’une vie qui allait encore en avant – où ne subsistent des furieux espoirs de la première Révolution industrielle que des amas métalliques aux tons de rouille, des panneaux à peine lisibles, des brouillards inhabités qu’on dirait faits pour nuancer le chagrin qu’on en a. Un peu plus d’une vingtaine de ces stations (c’est plus qu’il n’en faut à une Passion) que Patrick McGuiness a traversées des centaines de fois depuis sa jeunesse : la figure s’en révèle, à chaque fois en un poème, comme la source affleurant d’une profonde nappe de la mémoire, la sienne ou tout aussi bien celle des générations qui l’y on conduit.
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Un moment parmi les ombres, sous les néons, Gare de Léopoldville,
et nous voilà de nouveau en Belgique, péniche
glissant sur des eaux rougies par le sang et piquetées de diamants.
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Traduit de l’anglais par Gilles Ortlieb, familiers des lieux, des noms et surtout de l’étrange vertige des comas ferroviaires.