Berlinois, contemporain d’Alfred Döblin, de Franz Kafka et de Bertolt Brecht, l’essayiste Günther Anders (1902 – 1992) s’est exilé à Paris, puis aux Etats-Unis, avec certains des artistes qu’il présente dans cet ouvrage. Les écrits qu’il leur consacre dès 1933 n’ont pas pour vocation d’« examiner des wagons de philologie germanique », comme il le dit avec mordant, mais de réfléchir à un monde qui se délabre. Son interprétation du héros de Berlin Alexanderplatz, de Döblin, développe une réflexion sur les chômeurs comme « hommes sans monde », contraints de vivre dans un univers qui n’est pas « construit pour eux », annonciateurs de ce qu’il appellera plus tard l’« obsolescence de l’homme ». Seul un membre de la classe dominante peut s’identifier à ce qui l’entoure et le reconnaître comme son monde, tandis que « si l’on n’est personne, alors on est comme de l’air aux yeux des dominants, c’est-à-dire transparent ». Dans les années 1960, Anders complétera sa définition de « l’homme à l’époque du pluralisme culturel, cet homme qui, parce qu’il participe simultanément à de nombreux, à de trop nombreux mondes, n’a plus de monde déterminé et n’a donc pas de monde ».
Gabrielle Balazs