« Ma route est d’un pays où vivre me déchire… » est un titre extrait des mots du Veilleur, un texte du poète suisse Edmond-Henri Crisinel né en 1897 et mort en 1948. Né en 1897 comme Gustave Roud.
Cette référence aussi forte à la pensée délicate, désespérée aussi, de Crisinel, poète si peu prolixe, si peu présent dans les mémoires, est une façon de s’insérer dans le paysage, poussé par la force des choses, en quête du silence essentiel, du chemin égaré, des demeures profondes, des ciels clairs, de l’ensemble sensible du monde.
Ce paysage désiré, et qui demeure à l’état de désir quoique expérimenté, ne laisse pas intact le promeneur malgré lui qu’est Serge Airoldi, engagé dans une marche périlleuse où la vie se construit et se consume dans le même temps, confrontée au vin céleste qui enivre de joie et qui endort l’espoir dans le même pas accompli. Un peu comme si l’Antiquité commençait seulement jeudi prochain. Un peu comme si le chemin impossible à déterminer, vécu au hasard, conduisait toujours à la maison natale, au désastre et à son territoire.
Je sens un désastre, je sais, parce que je l’ai lu dans les poésies de Pétrarque, que tout ce qui plaît au monde n’est qu’un songe fugace, je sais, parce que je l’ai lu sous la plume de Blanchot que le désastre prend soin de tout, toujours, je vois les enfants qui se nourrissent de terre, abasourdis par cette extravagance, l’inhumanité du geste accompli, du geste lui-même, nourricier par défaut, je dois les voir, je connais l’existence des peuples qui manquent d’eau, j’assiste aux guerres, à l’équarrissage, je subis les mauvaises nouvelles qui courent dans le monde comme les Furies à la poursuite d’Oreste, j’entends le chaos aux usines et j’attends que les rois et les reines soient enfin repus aux fêtes galantes, noyés dans les alcools fins et les mets.