Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Et quelques livres

Les éditions ont vu le jour, aux côtés de la revue, à l’automne 2009.
Cette aventure a été inaugurée par un texte de Gustave Roud, Le repos du cavalier, suivi d’une étude de James Sacré, Aimé parmi les autres.

Dans le sillage d’une revue, cette polyphonie fragile et éphémère, des lignes de force se dessinent, des corps de textes s’assemblent, des dilections naissent ou s’affirment. Gustave Roud est présent depuis le début. Cette présence presque diaphane, son attachement à un lieu en même temps que ses errances de marcheur nocturne, son extrême attention au monde qui l’entoure tout autant qu’à l’invisible, l’éclat voilé et mélancolique de ses proses, l’accord tacite que celles-ci entretiennent avec le souvenir des morts, tout cela nous accompagne. Nous avions souhaité que le premier ouvrage publié autour de la revue soit de sa main et il est présent, avec d’autres livres, aujourd’hui encore.

Notre catalogue s’est depuis élargi. Pas davantage que les sommaires de la revue, il ne saurait être réduit à un quelconque programme ; il est ouvert à la littérature sous toutes ses formes, à la philosophie, à la critique sociale, aux arts. Les textes que nous publions reconnaissent leur dette envers la langue et soutiennent un débat avec le monde, ils sont d’un lieu, d’un temps — si calamiteux soit-il, et ils tentent, par des chemins divers, de donner sens aux convulsions démentes de l’époque.

Le pari de la littérature est, rappelons-le, celui de l’injection d’une forme, pour reprendre un mot de Julien Gracq, dans la pensée, dans la parole – récit, ode, épisode, analyse, science, prière, pamphlet, anecdote, prophétie, tout ce qu’on voudra –, forme sans quoi cette pensée n’atteint pas au cœur, au centre, à l’intime. C’est aussi la singularité d’un ton, d’une vision, d’une présence, s’opposant à tout ce que le monde fabrique d’uniforme et de choses mort-nées.
Pari téméraire, défi, chances incertaines dans ce présent.

Notre attention à la matière du livre, à son enveloppe d’encre et de papier, vient affirmer que la lecture est une expérience entière, qu’elle implique ou entraîne une présence qui n’est pas que d’esprit, et qu’elle ne se consume pas dans la mouvante brillance des écrans.

Des événements

En des temps de ténèbres 

On ne dira pas : à l’époque où le noyer remuait ses branches dans le vent ‚
On dira : à l’époque ou le peintre en bâtiment écrasait les travailleurs .

On ne dira pas : à l’époque où l’enfant faisait ricocher le caillou plat sur l’eau vive du fleuve ‚
On dira : à l’époque où se préparaient les grandes guerres .

On ne dira pas : à l’époque où la femme entrait dans la chambre , 
On dira : à l’époque où les grandes puissances s’alliaient contre les travailleurs 

Mais on ne dira pas : c’était en des temps de ténèbres , 
On dira : les poètes , pourquoi se sont-ils tus ?

Bertolt Brecht · Poèmes 1934 – 1941 · Traduit par Maurice Regnaut

Une tradition a longtemps associé le métier d’éditeur à celui de libraire et nous aurions préféré présenter nos revues et nos livres à la vue et au toucher du flâneur curieux. Mais la ville d’aujourd’hui ne laisse guère de place, au pied de ses tours et le long de ses voies rapides, aux échoppes. Nous nous sommes donc résolus à concevoir cette lumineuse et plate vitrine.