Dans ces textes datés de 1919 à 1969, Gustave Roud marche. Il hante tout autant qu’il l’explore le paysage ouvert dans les collines du Haut-Jorat qu’il aura arpentées toute sa vie. Parfois proches du Journal, ces notes très écrites, d’où émerge parfois un poème, parcourent les lieux et les gestes de la ruralité qu’il a côtoyée, dont il était issu et qui aura constitué peut-être sa vraie famille. C’est d’ailleurs à ses « amis laboureurs » qu’il dédie ce livre composé au long d’un demi siècle : « le temps, précise-t-il, pour l’ancien monde paysan de n’être plus ». La fureur des moteurs et l’abondance des foules a élargi les routes, rompu la vieille harmonie, ruiné le visage encore paisible de ce monde.
Nulle exaltation, ici, d’une étroite possession de la terre, mais plutôt le questionnement infini de ces signes promis aux sens et au cœur : le chant d’un oiseau, « sa détresse ou son délire », l’éclosion d’une fleur « dans l’absolu de son être », le ruissellement d’une eau dans la lumière ou celui des étoiles au fond de notre nuit. Les manières des hommes, leurs travaux réguliers, l’accord toujours renouvelé de ces vies avec les saisons, ces existences « soumises au rythme le plus noble et le plus strict », Roud a tenté de les approcher, en humble vagabond qu’il était, puis, en poète, de les sauver.
O vestiges épars et sans vertu ! Pourquoi vous réunir ici, pourquoi ? Mais, on ne sait d’où venue, une obscure injonction n’a cessé de m’y contraindre, une exigence à quoi il importait d’obéir. Peut-être, prise à votre piège d’échos rompus et de de reflets, cette longue suite d’années me sera-t-elle rendue, celles que j’ai pu vivre avant de sentir sous le même ciel, à travers les mêmes saisons, le cœur de l’univers paysan s’enfiévrerlentement jusqu’à l’inguérissable, son calme et beau visage perdre sa paix. Peut-être, par votre aide et sans qu’un miracle y participe, sinon cette lumière de septembre si pure qu’elle illumine au-delà de l’instant les plus lointaines profondeurs temporelles, peut-être la route nous sera-t-elle rouverte vers un monde qui était encore celui de la lenteur et du pas, du pas humain. Le vôtre, laboureurs et semeurs anciens, ô mes amisfaucheurs de froments mûrs et d’herbages, oui, votre pas.