James Sacré a régulièrement accompagné dans ses livres l’activité d’un peintre (par exemple Alexandre Hollan, Guy Calamusa) ou d’un photographe (Lorand Gaspar) ; dans Une main seconde, la démarche est différente : il s’interroge sur la pratique de Jacques Clauzel dans ses dessins, qui semblent ne pas avoir de rapport avec les tableaux qu’il expose ; parallèlement à ces propos, il questionne sa propre écriture.
L’ensemble des dessins n’a pas fait l’objet d’une publication ; l’un de ceux retenus ici apparaît comme un gribouillis qui représente cependant une forme humaine, d’autres sont des constructions monstrueuses ou fantastiques ; on voit par exemple les éléments d’un corps dans un fouillis de formes géométriques, ou un corps-visage avec des cheveux de Méduse et dont une partie est constituée d’un pénis, lui-même se terminant par une main. Pour James Sacré, il y aurait eu dans l’élaboration de ces dessins « comme un plaisir à peine avouable », en tout cas quelques chose d’intime que le peintre ne souhaitait pas montrer — les premiers dessins reproduits datent de 1976. Ce qui est certain, c’est que leur existence à l’écart de ce qui est présenté dans les galeries — écart qui justifie leur qualification de main seconde— atteste que le peintre n’a pas une seule manière de créer, qu’il ne peint pas (ou ne dessine pas) toujours en respectant une norme, celle de ses propres tableaux. La place de ces dessins dans l’activité du peintre est complexe. Plutôt que d’y voir des écarts, il est plus intéressant de se demander s’ils ne sont pas, maintenant qu’ils sont visibles, une invitation à regarder autrement les tableaux, et l’on pourrait aussi à partir des tableaux visiter autrement ce qui n’était pas jusqu’à maintenant visible, sorte d’ailleurs. Les peintures, alors, « somment les dessins de déclarer plus nettement ce qu’ils veulent ». James Sacré appuie cette proposition en évoquant des tableaux qu’il a appréciés dans les musées de Sienne.
Qu’il s’agisse d’une œuvre de Sano di Pietro ou de Beccafumi, James Sacré s’attarde sur un détail — « une petite scène sans conséquence » pour le premier, « une espèce de tempête coincée en haut du tableau » pour le second — qui le conduit à regarder et à lire autrement la peinture entière. Le détail, « ce qui vient en marge », « emmène pareil / Dans l’énigme du monde ». L’analogie est convaincante et l’on reprend le livre de Daniel Arasse (Le Détail) pour confirmer ce point de vue ; même si le but du critique est différent et aboutit à des analyses historiques, le détail peut être « un moment qui fait événement dans le tableau, qui tend irrésistiblement à arrêter le regard » (p. 14). On peut accepter que les dessins — la « main seconde » — de Jacques Clauzel soient, par rapport à ses toiles, comparés au détail d’un tableau mais James Sacré s’aperçoit qu’il ne peut poursuivre l’analogie à propos de son écriture.