Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Mary-Laure Zoss nous invite à ne plus redouter la mort

La poétesse lausannoise signe, en clair-obscur, «Seul en son bois, dressé noir», un magnifique recueil pour nous aider à traverser notre peur de la finitude.

Julien Burri

S’aventurer dans une vaste forêt primaire… C’est la sensation qu’éprouve le lecteur en découvrant le nouveau recueil de Mary-Laure Zoss, Seul en son bois, dressé noir, publié chez Fario, de haute tenue poétique. Plus précisément la sensation de quitter les sentiers, prenant le risque de se perdre. Dans cette forêt, on peut admirer ce qui a presque disparu de nos paysages aujourd’hui, ces arbres multiséculaires que Rembrandt a su si bien représenter dans ses gravures : des chênes si vieux que certaines de leurs branches pourrissent alors que d’autres, pleines de sève, irriguent de nouveaux bourgeons. Des arbres foudroyés, fendus, évidés, à la fois morts et vifs, refuges d’insectes et d’oiseaux.

Chemin physique et spirituel

Séduit par la texture des phrases, le lecteur se fraie peu à peu un passage, convié à une expérience personnelle de lecture, non fléchée, non balisée. Comme toujours dans l’œuvre de la poétesse (remarquée dès Le Noir du ciel, paru aux Editions Empreintes en 2007, couronné par le Prix de poésie C.F. Ramuz), la forme et le fond se développent dans un même mouvement, l’aventure se joue d’abord dans la langue. Il y a chez elle une rigueur, une construction soignée de chaque recueil, pensé comme un tout, comme un chemin à la fois physique et spirituel, tracé à voix basse et en toute modestie.

Ces arbres pourrissants, mais zébrés de lumière, ce sont les mots usés du langage, c’est toute la tradition littéraire qui a précédé. Dans leur dissolution, ils deviennent le terreau d’un langage neuf, de poèmes inédits, d’expériences nouvelles d’être au monde. Cette forêt foisonnante et sauvage, angoissante, c’est aussi la vie qu’il faut traverser, sans avoir peur de la perte, de la mort qui ronge les troncs et les feuilles. Accepter le changement, la flétrissure, plutôt que vivre dans l’illusion d’une langue momifiée ou dans la « chimère d’un verbe incorruptible ».

Apaiser l’angoisse

La poésie de Mary-Laure Zoss nous confronte à ce que notre époque refuse de voir, par crainte : la finitude, la déliquescence des corps. Elle ne s’arrête pas là. Aussitôt, elle nous rassure, nous épaule, nous montre la lumière et tout ce qui affleure, se nourrit du bois mort, naît de la débâcle. Elle apaise l’angoisse du désastre. Ses petits blocs de texte, ses proses poétiques sans majuscule ni point, sont travaillés par l’essor et la montée de la sève. La poétesse nous invite ainsi à continuer à cheminer, « faisant corps, quoi qu’il en soit, avec ce qui advient ».

Ses textes sont judicieusement accompagnés de quelques œuvres de l’Iranien Farhad Ostovani : des arbres tracés à l’aquarelle, au crayon et au pastel, répondent à la ramification et au bourgeonnement des phrases.

Mary-Laure Zoss, « Seul en son bois, dressé noir », avec des œuvres de Farhad Ostovani. Poésie. Fario, 74 p.

Voir ici l’article sur le site du Temps.

Seul en son bois, dressé noir

La ruine lente, les craquements, les pourritures. Ce qu’elles abritent de vent et d’eau croupie, parfois de lumière aussi. Le temps œuvre et dilapide, mine lentement. L’âge déconcerte aussi les arbres. Ils vivent, croissent, puis soudain penchent, lentement s’écroulent, démantelés de l’intérieur, fissurés par les années, ou bien tranchés, abattus franc, dans la hâte des scies, des haches.         Peu de formes du vivant, si l’on y songe, incarnent aussi éloquemment les âges successifs de la vie : jeunes pousses, adolescents graciles, sujets de pleine maturité, ancêtres chenus. Ce sont ces derniers surtout qui habitent ce recueil de Mary-Laure Zoss. On

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