Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Madeleine, pleine de grâce

Éric Dussert

Avec un prénom tellement proustien et un patronyme qui n’est pas sans rappeler telle éminente figure, Madeleine Barthes va prendre naturellement sa place dans la bibliographie du siècle dernier. Elle se rangera d’elle-même dans la catégorie des simples aux côtés d’Estelle Canzani, par exemple, parmi tous ces écrivains qui naissent sans l’être et le deviennent par hasard, parce qu’un cahot du chemin leur a mis un crayon dans les mains. Madeleine Barthes aurait du reste pu ne jamais le devenir, écrivain. Elle écrivait, voilà tout, et rien n’annonçait que la piété filiale et de solides amitiés allaient conduire une poignée de pages de ses carnets longtemps usés chez un rotativiste.

Elle était née à Toulouse en 1924 et consacra toute sa vie à la pédagogie. Fille de cheminot, elle appartient à cette génération qui eut 20 ans en 1944, connut une adolescence riche mais compliquée. Sitôt la guerre close, elle entama sa carrière de professeure. D’histoire et de français d’abord, pour les jeunes filles d’une institution nommée Le Refuge, puis dans des environnements plus exigeants comme l’École normale nationale d’apprentissage de Toulouse. Les scolarités difficiles attiraient sa vocation et son engagement, à une époque où l’émancipation par l’éducation avait du sens, où l’on savait pertinemment que la démocratie et l’individu ne se concevaient pas sans une institution pédagogique solide, dispensatrice de la manne libératrice, parmi laquelle « les poèmes égrenés dans la classe vieille / à la lumière verte des grands arbres / dans ce château désaffecté aux murs qui se lézardent / le grand bouquet de fleurs séchées / et leur odeur de paille ».

Militante syndicale et antifasciste, curieuse, lectrice conséquente, Madeleine Barthes écrivait aussi souvent, sans jamais laisser entendre qu’elle avait à dire. C’est presque par hasard, par transmission que son mari, veuf en 1977, communiqua à ses filles ses carnets que l’on est tenté de nommer « secrets ». Et pourtant rien d’obscur chez Madeleine Barthes, tout au contraire : ce sont deux carnets et quelques feuilles volantes, apparemment rédigés dans les années 1960 – 1970. Elle y posa, pour ne pas les perdre sans doute, des portraits et des dates, des moments fugaces qui persistaient à son esprit, tissant une courte biographie sentimentale et intellectuelle :  » ma grand mère qui ne savait pas écrire / qui avait filé la laine sur le causse / aux yeux bleus, très clairs / qui lisait des romans d’amour / qui tirait la monnaie précautionneusement / de la poche de son tablier de satinette noire / sa petite broche en or — ses boucles d’oreilles — seul trésor.  » […]

Lire la suite dans le numéro 214 du Matricule des Anges, juin 2020.

Les saisons secrètes

L’écriture intime, voire secrète et sans visée éditoriale, exerce une fascination mal dicible lorsqu’il est donné, par une petite cascade de hasards ou de rencontres, à l’éditeur d’y accéder : passé le sentiment d’un regard indiscret naît parfois celui d’une épiphanie. Il n’est alors que justice de faire place à ce qui fut peut-être le fonds d’une œuvre projetée en quelque improbable avenir. Deux carnets et quelques feuillets volants, écrits à la fin des années soixante ou au début des années soixante-dix et récemment ouverts par des proches, sont la source du livre que nous publions aujourd’hui. De leur auteur, Madeleine Barthes, nous ne

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