Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Sur le premier numéro de la revue fario

Thierry Guichard

Dans son écrin en bleu et noir, avec vignette au fronton et sommaire roboratif, le premier numéro de Fario séduit d’emblée par sa qualité esthétique. C’est beau, bien équilibré et cette nouvelle revue fait penser déjà à l’impeccable Conférence. Le vergé donne du volume à ses trois cents pages auxquelles la mise en page soigneuse apporte beaucoup de confort de lecture.  » Nous avons donné à cet espace ou à ce jeu le nom d’une bête sauvage, d’une truite. C’est un animal qui se tient dans des veines d’eaux glacées, ou dans les forts courants, apte s’il le faut à leur faire face, à les remonter.  » Discrétion donc, mais aussi, résolution pourraient caractériser cette Fario. Si le texte liminaire ne dit pas exactement ce que sera cette revue semestrielle :  » il n’y a pas de drapeau, pas de programme « , du moins sait-on ce qu’elle ne sera pas :  » On croisera bien peu de complaisance pour la pente de l’époque, peu de cette faculté d’adaptation aujourd’hui si prisée, et moins encore cette sécheresse, cette vanité cynique des lettres marquées au fer de l’expérimental. »

De fait, une attention patiente est de mise : attention portée à la langue très soutenue chez Marlène Soreda, attention portée aux paysages par exemple par Gustave Roud dont les sept photographies proposées semblent l’illustration même de la revue. On entre dans Fario comme dans une sorte de dictionnaire animé, vivant, où s’agencerait toute l’épaisseur d’une langue française chérie par les auteurs qu’on y lit.

Pour donner du liant à la forme anthologique de ce numéro, un motif joue le rôle de fil rouge. C’est le voyage, qui rassemble la plupart des textes et des photos. Voyage minuscule, immobile parfois comme celui que propose le directeur de la publication Vincent Pélissier dans un texte qui tisse des extraits d’oeuvres magistrales autour de ce thème. Périple étonnant, comme ce  » Voyage en Allemagne  » de Charles-Albert Cingria dont la prose met l’exotisme à portée de domicile. Voyage historique : celui d’Henri Calet qui, à bord du Vigo, une fois de plus, tombe amoureux. Elle s’appelle Else, elle a 17 ans et à la page 131, elle nous sourit.

Parfois flirtant avec la préciosité (mais de nos jours, il suffit de n’être pas vulgaire pour être précieux), Fario mêle les vivants et les morts, les francophones et les autres (Sadegh Hedâyat, Arséni Tarkovski), publie des textes issus de livres assez récents (Italo Svevo), passe de la prose à la poésie. On regrettera juste que l’anthologie ne s’appuie pas plus sur des notes informatives (sur les auteurs par exemple) et enfile les textes les uns après les autres. Il est vrai que beaucoup sont des perles…

Fario 1

Ce premier numéro de la revue est désormais épuisé, quelques libraires disposent encore d’un ou deux numéros. Nous indiquerons volontiers aux amateurs qui souhaitent compléter leur collection l’adresse d’une librairie. ÊTRE PASSAGER Liminaire Pierre Bergounioux, 2D2 9100 James Sacré, Passagers de notre enfance Marcel Cohen, Gare de l’Est Jacques Damade, Fulgurite Pierre Lartigue, Le passage Serge Airoldi, « L’océan s’en va et la dune et les biches… » Nata Minor, Les roses de Carrare Christian David, Sept poèmes Marlène Soreda, Asma ! les glaïeuls Vincent Pélissier, Vers décembre Gustave Roud, Sept photographies – présentation de Nicolas Crispini Marie Frisson, Le grain des choses Maurice

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