« Les manchots, les unijambistes étaient légion, que l’époque, insoucieuse de ménager certaines apparences, avait simplement pourvus d’un crochet d’acier nickelé ou d’une espèce de sabot rond, caoutchouté, qui faisait penser aux chèvre-pieds des vases grecs ou des tableaux néoclassiques. » (Pierre Bergounioux)
Repartir, revenir, comprendre.
Par sa folie meurtrière, La Première Guerre mondiale hante encore notre présent.
Les soldats morts par centaines de milliers sur les champs de bataille sont nos contemporains, leur pourriture est la nôtre.
A Ypres, en Belgique, a lieu chaque soir depuis l’armistice de 1918 une cérémonie commémorant les soldats assassins, assassinés.
La ville où mourut le 6 mai 1638 Jansénius peut être lugubre, elle n’en est pas moins grandiose en cet acte de rassemblement des fantômes.
Les gueules cassées de la Première Guerre mondiale, Pierre Bergounioux les a rencontrées enfant, sans toujours bien saisir la portée des stigmates hideux.
« Une crainte mal contenue me raidit en leur présence, écrit-il dans un court texte superbe Le Bois du Chapitre, Verdun, publié par les éditions Fario. Elle se mêle, parfois, d’un amusement triste, honteux, lorsque leur mâchoire broyée, triture et déglutit des mots en bouillie. »
Sur la place du village, il y a une sculpture effrayante, qu’on ne voit plus, mais qui nous pointe.
La baïonnette, meilleure amie du fantassin, dégoutte d’un sang frais caillé appelé guerre industrielle, totalitarisme, hécatombe sans Dieu.
Il y a les blocs de bronze, et il y a les livres, sans antagonisme.
Que nous disent-ils de l’épouvante à groin de porc du masque à gaz ?
L’enfant né au centre du pays, à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) en 1949, rit, fantasme, recule, se terre, cauchemarde.
Que s’imagine-t-on de nos ancêtres aux visages et viscères éclatés ?
Que garder de la légende transmise par l’école, les fanfarons ou les récits des bons patriotes ?
Quelle part faire à celle des réfractaires ?
Comment déchiffrer le silence des mutiques ?
« Mais d’abord il y a le monde, les hommes âgés, diminués, qui déjà s’éloignent, les hautes, les muettes figures d’airain, le présent exorable, la douce déraison des origines et plus tard, seulement, le besoin d’y remédier, le souci d’accorder – s’il se peut, s’il en est encore temps – ce qu’il y a et ce qu’on est. »