Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Joséphine Michel, la révélation des oiseaux

Oriane Jeancourt Galignani

Syrinx, le titre du nouveau livre de la photographe Joséphine Michel est mystérieux : il nous plonge parmi les oiseaux, dans leurs couleurs et leurs chants. S’ouvrant par un texte du fameux anthropologue Tim Ingold, ce livre de photos est un monde en soi, d’une troublante beauté. Rencontre. 

Propos recueillis par Oriane Jeancourt Galignani

 Réflexion sur les oiseaux, leur présence dans les forêts, leur nature tangible et spirituelle, Syrinx est un livre rare. Alliant la splendeur des plumages, les silhouettes et l’étrangeté des regards des oiseaux, le travail de Joséphine Michel nous place au plus près des créatures. Par le travail riche qu’elle accomplit sur l’image et sa surface, elle se place aussi dans une mythologie : celle de la représentation de l’oiseau, sans cesse poursuivi, adoré ou craint. Car l’oiseau est une présence physique, mais aussi un chant qui hante les forêts et les esprits. Or, Joséphine Michel dans certaines images, notamment d’oeils, renverse la perspective, et nous mène dans un lieu étrange ; le point de vue, de sensation, de l’oiseau. Peut-être même jusqu’à la naissance du chant de l’oiseau. C’est bien ce lieu qui couve le plus grand mystère, et que Tim Ingold aborde dans son texte limpide et profond : « « Est-ce extravagant d’imaginer que lorsque nous entendons l’oiseau chanter, l’oiseau lui-même-avec son œil dans l’oreille-« voit » son propre son comme un motif dans la lumière ? » (…) Ces visions audibles sont peut-être hors de portée des humains ordinaires. » Mais elles sont à la portée des artistes qui prennent le temps, « l’attention » nous dit Joséphine Michel, et offrent leurs esprits à cette recherche. 


Comment est né ce projet de livre de photographies avec Tim Ingold ? 

La première partie du travail a été effectuée seule. Une nuit, sur l’île de Porquerolles, je suis allée me coucher avec une image banale, générique d’un oiseau en tête. Le lendemain matin, je me suis faite réveiller par le chant magnifique de ce qui me semblait être une huppe. J’ai alors réalisé l’immense écart entre la pauvreté de mon image mentale et la splendeur inouïe de ce chant. J’ai décidé instantanément d’aller photographier, avec l’espoir de faire une image qui incarnerait plus justement l’oiseau. Voici la première impulsion.

Après de multiples voyages, au lac Kerkini en Grèce, dans le delta du Danube en Roumanie, dans la région d’Extremadura en Espagne, j’ai ressenti intensément la nécessité de correspondre avec quelqu’un à ce sujet. Tim Ingold s’est imposé comme une évidence, j’étais une fervente lectrice de son œuvre, d’Une brève histoire des livres à Being Alive, de ses écrits sur la relation de l’humain à l’animal, et aussi, et surtout, des analogies et des tensions entre le regard et l’ouïe. J’ai trouvé son adresse sur le site de l’université d’Aberdeen, et je lui ai écrit un e‑mail, tel une bouteille à la mer. Il y a répondu deux mois plus tard, et j’ai eu la chance d’être en échange constant avec lui depuis.

« Syrinx », le titre en est aussi mystérieux qu’envoûtant, que signifie-t-il ? 

Je désirais choisir pour titre un mot, une expression ou une phrase qui provienne de l’essai que Tim écrirait pour le livre. La syrinx est l’organe du chant de l’oiseau. À la différence de notre larynx, elle permet d’émettre deux sons à la fois. J’ai trouvé ce titre intéressant car il faisait relation au sonore, et que le livre lui-même était composé de deux notes simultanées, le texte d’une part, les images de l’autre. Syrinx est également le titre d’une œuvre magnifique de Debussy pour flûte solo, et a une résonance mythologique (la nymphe).

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Syrinx

Écouter/voir : la culture occidentale a depuis longtemps isolé sinon opposé ces deux champs de notre vie perceptive : là où l’œil objective, met à distance le monde afin de le soumettre aux rigueurs de la raison, l’oreille immerge le sujet dans ce même monde et au besoin conduit à son envoûtement. Alors que la vue dispose du temps, l’écoute doit se saisir de l’instant dans lequel ce qui lui est dû surgit pour disparaître. Nous aurions tort de croire cette typologie inébranlable. Ce que l’on peut appréhender de l’ouïe des oiseaux bouleverse la rigidité d’un tel modèle : leur usage de l’écoute semble allier une

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