Si toute œuvre littéraire suppose et comprend une théorie de la littérature, même implicite, celle de Jean-Paul Michel s’est affrontée de longue date aux questions touchant aux pouvoirs du langage, à ses « sorcelleries ».
C’est ici la question de l’ars, des moyens réglés dont dispose, au plus haut niveau d’exigence, le registre du symbolique pour répondre à la perte liée à notre condition et faire face au chaos infini que recèle notre simple présence au monde.
Ce ne sera pas pour avoir négligé les voies de raison, c’est pour en avoir éprouvé les failles et les impasses, se tournant avec lucidité vers le peu de chances qu’offrent les effets incalculables des signes.
À bonne distance de l’actuel et de son perpétuel ressac, de ses multiples renoncements, Jean-Paul Michel privilégie un temps long, tenant ensemble, à même hauteur, Lascaux et les Fauves, Homère et Hölderlin, Shakespeare et Rimbaud. Sans concessions pour les éclats ou les échecs induits par les convulsions morales et esthétiques du vingtième siècle.
Sont assemblés ici des entretiens diffusés par voie radiophonique ou dispersés dans des revues. Jean-Paul Michel y parle de ce qui fonde à ses yeux le poème, de ses lectures, de ses rencontres capitales (de Breton à Bonnefoy en passant pas Mohamed Kaïr Eddine, Pontévia, Louis-René des Forêts), de ses aventures politiques, du moment de leur dégoût, de la création, très jeune, des éditions William Blake & Co, de sa fascination pour la peinture et la vigueur de ses effets.
Entretiens avec : Abdellatif Abboubi, Henri Deluy, Michèle Duclos, Sébastien Gazeau, Éric des Garets, Lahouari Ghazzali, Matthieu Gosztola, Tristan Hordé, Sophie Nauleau, Joël Raffier, Françoise Taliano, Alain Veinstein, Natalie Victor-Retali.
Le pari de tout art est désespéré pour ce que la disproportion des forces en présence ne lui laisse aucune chance de « victoire » ; d’un côté la totalité du grand réel, hors la représentation, hors le sens ; de l’autre la vieille ruse d’Ulysse, aux mille tours. La figure de « héros » de celui qui affronte en mortel la totalité de l’inévitable, comme la fable qui chante ses exploits, sont le précieux précipité de signes qu’il est donné à l’espèce qui symbolise de recueillir de ces conflits, de ces terreurs, de ces audaces. Ces récits ne soldent aucun compte. Chacun aura à affronter la grande mer à ses risques, à compte propre. Mais on y pourra juger de la manière de chacun devant l’épreuve, de la hauteur à laquelle il provoque sa chance, de la qualité des tours qui lui sont propres, de la tenue avec laquelle il ira à sa Fin fatale : comme Achille, ou comme les Prétendants ?
Entretien avec Tristan Hordé — Calcatoggio, 25.VIII.98