À partir d’une réception subtile, et d’abord toute plongée dans l’onirique, des Visages peints de Jacques Le Scanff, Claude Louis-Combet engage une réflexion sur la face humaine, figure de proue à l’avant d’un navire de l’existence, tout autant que paysage témoin des grands remuements tectoniques, des gisements et des conflits les plus archaïques de l’être. À la différence de portraits, qui seraient tenus de spécifier ou d’incarner l’humeur, les vices ou les traits d’une personnalité qui se tient dans l’histoire, individuelle ou sociale, ces Visages tournés vers le « dedans » n’en sont pas moins porteurs du fond anthropologique le plus reculé, le plus enfoui, le plus sombre et qui sait ? le plus minéral, d’où affleurent parfois, par delà la violence et le silence dans lesquels ils s’imposent, la douceur d’une ligne ou le murmure d’une source.
Comme les paysages ou les reliefs de la Terre, la complicité qu’ils appellent parfois durement, sauvagement, et comme malgré nous, c’est à un peu plus d’humanité – sa nuit comprise – qu’elle pourrait inviter ou conduire.
Ce qui demeure des lointains d’où ils proviennent et qu’ils ont traversés avant de s’échouer devant nous, c’est toute la densité d’une face hagarde et taciturne, vouée uniquement à occuper la totalité d’un espace sans issue, sans point de fuite, sans décor, en sorte que, depuis qu’ils sont arrivés, chacun d’eux me semble n’avoir raison d’être que de nous imposer – et d’imposer à soi-même – le poids définitif de sa solitude. L’impression de singularité insolite et close qui se dégage de chacune de ces faces et de leur ensemble ou rassemblement est tellement pressante qu’un malaise naît de leur contemplation : le sentiment que nulle rencontre, nul échange, nul lien ne sont praticables avec cette engeance de visiteurs qui n’appartiennent pas à l’histoire mais à la vision, et qui, surgis de nulle part si ce n’est de l’ombre, derrière le miroir, sont essaimés parmi nous, dirait-on, à seule fin de nous halluciner d’identités vacantes, fantasmatiques, régnant sans réserve, sans pudeur, sur des territoires d’inconscience que nous ne soupçonnons désormais que grâce à l’insistance de telles figures à nous dévisager. Entendons ce terme au sens le plus fort, selon son évidence étymologique la plus cinglante, pour dire que, sous l’attention concentrée de tant de regards fixés sur nous, notre visage nous est soustrait, gommé, annulé, et ne se voit plus, dans l’instant, ou plutôt ne se devine, que dans des rictus figés, des sourires répulsifs, des yeux d’aveugles-nés, des lippes exorbitantes, des masques tortueux et sinistres. […]
C. L.-C.
Tirage de tête : les trente premiers exemplaires de cette édition originale d’Invités de la Nuit, signés par l’auteur et par l’artiste, numérotés de I à XXX, chaque exemplaire sous étui accompagné d’une peinture d’un Visage de Jacques Le Scanff.