Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Blue Birds’ Corner

Depuis l’un de ces lieux qui sont ceux de l’otium, donc du travail libéré des « nécessités », on observe ici comment le monde peut-être capté scrupuleusement afin d’être déchiffré : plantes, bêtes et gens y sont encore faits d’une matière sensible, susceptible d’impressionner le lecteur-écrivain sur son vélo, le nez au ras des herbes du jardin, ou livré à n’importe lequel des spectacles que donnent continûment mais dans des dispositions diverses les foules, les chats, les machines ou les oiseaux. On vérifie ainsi qu’une vision ne se constitue pas sans une syntaxe, qu’elle nécessite une langue. 

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L’ensemble des instants ou des perspectives révélés n’implique pas une écriture fragmentaire, ou plutôt les fragments circonscrits deviennent des petits blocs autonomes, des prélèvements cohérents tant dans l’espace intérieur qu’extérieur (en tenant compte de leur porosité) qui donnent à la fois à rêver et à penser. Leur juxtaposition conduit à un livre non pas par addition simple mais plutôt par l’effet d’une tonalité (l’usage raisonnable et raisonné d’une sorte de distraction très attentive), d’une mise à distance régulière du banal, du quotidien, du microscopique ou de l’instantané.

Ces essais en vol, pour être d’un style jubilatoire, n’ignorent rien du temps présent, ils s’apparentent plutôt à un inquiet parti pris du monde. 

Blue Birds’ Corner est aussi, pour commencer, le nom d’une maison au bord de la vaste mer.

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C’est dans une clinique vétérinaire d’Orléans, la clinique Les Lilas, route d’Olivet, que j’ai, pour ainsi dire, terminé la lecture de Mes prix littéraires de Thomas Bernhard, sous les yeux d’animaux, eux, bien réels, tant qu’ils ont été là à attendre leur tour pour une consultation. Certains étaient allongés sur le sol dans un relâchement confiant, ou une certaine inquiétude qui se lisait peut-être dans leurs yeux, mais davantage sur le visage de ceux qui les tenaient en laisse ou dans leurs bras, là, pour le petit, le jeune, c’était une femme, au moyen d’une couverture beige aux motifs simples, une double bordure noire et blanche qui inspirait une impression de confort pelucheux, de chaleur enveloppante et, pour tout dire, de douceur maternelle.
« L’animal est un enfant », se dit-elle, pensais-je. C’est à ce moment que je me suis dit aussi que c’était sans doute le meilleur endroit pour terminer ou presque le livre, un livre de Thomas Bernhard, précisément
Mes prix littéraires de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard, le meilleur endroit à coup sûr.

Thierry Bouchard

Thierry Bouchard est né à Auxerre (Yonne) le 3 février 1959. Il vit à Orléans. Enfance à Briare puis à Gien (Loiret) où il suit ses études secondaires jusqu’en 1977.

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