Stendhal n’écrivait pas pour ses contemporains et faisait fond sur les futurs lecteurs qui sauraient enfin le lire, plus tard. Le lecteur d’aujourd’hui sera peut-être surpris de constater que l’un de ceux qui ont répondu à l’appel se nomme Paul Valéry. Lequel s’en disait lui-même étonné. Et il est exact qu’on attendait peu de voir l’auteur d’un Monsieur Teste être ainsi désarmé, touché, conquis par un auteur de romans dans lesquels la passion l’emporte sur toute autre considération, ou par le metteur en scène de sa propre vie : celui qui se faisait appeler William Crocodile — l’un des nombreux pseudonymes de Beyle.
Publié en 1927 et initialement destiné à une préface de Lucien Leuwen, ce texte est le portrait fulgurant d’un égotiste et de son drame : un homme partagé entre le souci d’entrer dans la gloire et l’orgueil suprême d’être unique. « Vivre. Plaire. Être aimé. Aimer. Écrire. N’être pas dupe. Être soi, — et pourtant parvenir. Comment se faire lire ? Et comment vivre, méprisant ou détestant tous les partis. » Ce questionnement conduit Valéry a une lumineuse réflexion sur la sincérité et sur la foi. Et il n’est pas trop hardi de présumer que cette admiration pour un insolent est le prétexte d’un examen de conscience de son auteur par lui-même. Et qu’au travers des années, le toujours jeune Henry Beyle propose encore aux hommes sérieux de la postérité, c’est à dire à chacun d’entre nous, plus qu’une caricature : un miroir.
Beyle oppose toujours quelque jeune homme pur et quelque homme d’esprit à ces monstres de besogne, de niaiserie, de cupidité, de sécheresse, d’hypocrisie ou d’envie, dont il a peint tant de fois les visages, les caractères et les actes. Il concevait par ses dégoûts, il s’assurait par soi-même que la véritable valeur peut être séparée des vanités, des paperasses, des mensonges, de la solennité, de l’automatisme.
P. V.