La psychanalyse, son invention toujours requise, son partage, ont une chambre d’écho : l’écriture. Elle est parfois le lieu privilégié des stéréotypies et du jargon mais heureusement aussi celui de l’ouverture, de la pure exploration par un auteur qui ne sait pas d’avance où cela va, qui découvre ce qu’il ne connaissait pas et ce faisant l’invente. C’est dans un tel sillage que s’inscrit ce petit livre qui s’adresse d’une façon si singulière à la psychanalyse, mais pas seulement.
Sa vertu première serait de ne rien vouloir démontrer, ou très peu, mais de montrer, en acte, c’est-à-dire dans le mouvement d’une langue et d’une pensée qui s’élucident mutuellement, un processus analytique possible, vivant.
Les souvenirs de deux cures délicates, mystérieuses, forcément insatisfaisantes en sont le mobile apparent. S’y entretissent des lectures, des questionnements, des doutes, des éclairs. On y croise Karl Kraus et Bartleby, Giandomenico Tiepolo et D. W. Winnicott. On essaie de deviner ce qui ne peut se voir, comme la scène d’un tableau, de comprendre de quelle sorte est cette indifférence qui protège du chaos, soude les foules, nourrit l’opinion et prépare les dictatures. Il y a des silences, on essaie de les entendre, de ne pas les faire parler trop haut. C’est évidemment entre les lignes, comme on dit, que ça se passe. On tente de comprendre comment se forme un récit de cure, dans la rigueur et dans l’oubli, entre logique et hallucination : « La clinique demeure curieusement inconnue : on ne saura jamais ce qui s’y passe en vérité. »
Il y a bien un plan, discret, mais pas de fin, pas de conclusion solennelle, avec trompettes de la résolution, buccins de la guérison et tambours de la théorie. Il y a ces choses vagues, au milieu de quoi on retrouve un peu de tremblement, un peu d’incertitude, un peu de joie aussi — juste entre néant et chagrin —, ces choses vagues dont Paul Valéry disait que leur lieu est l’esprit.
« Un cercle vague, un geste vague, des couleurs troubles, des mouvements et des efforts informes, des régions douées de sentiment, des mimiques de choc, d’effacement, — des paroles sans bouche et sans origine […] Voilà ce qu’on voit dans l’esprit. »
Paul Valéry