Ce livre naît d’une stupéfaction : malgré le retour perpétuel de la barbarie, nous maintenons fermement notre croyance dans le progrès de la civilisation.
La cause tient à un paradoxe : si la société contraint chacun à juguler ses appétits, à endiguer ses mouvements pulsionnels — tant ceux qui portent à aimer que ceux qui visent à détruire -, elle s’avère régulièrement fauteuse d’une insondable destructivité. L’exaltation narcissique, à laquelle toute foule conduit ceux qui la composent, et l’identification à un idéal ou à un meneur sont à la source de cette destructivité, par la voie d’une libération de la pulsion de mort et de sa déflexion vers l’autre. À commencer par celui qui se distingue à peine : effet redoutable du « narcissisme des petites différences ».
La réflexion de l’auteur s’appuie sur une expérience clinique rare : à de multiples reprises, il a supervisé des cures d’analystes confrontés aux guerres fratricides de Croatie, d’Arménie ou ailleurs, mesurant ainsi les effets des meurtres de masse sur la psyché des victimes comme de leur descendance sur plusieurs générations.
Retournant à Freud il a suivi pas à pas l’émergence de la psychologie collective dans le débat parfois âpre avec Jung et Adler.
Proposant une interprétation métaphorique du repas totémique et du meurtre du père de la horde, Gilbert Diatkine souligne l’importance décisive des mouvements de deuil et d’identification aux victimes. Pour lui, dans ses effets pour chaque individu, la reconnaissance collective des crimes s’avère capitale.