Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.

Henry David Thoreau

Le Chemin de sable

Sabine Sicaud

L’unique recueil anthume de Sabine Sicaud (1913 – 1928) paraît en 1926, préfacé par madame de Noailles. Il reste à l’auteur deux ans à vivre. Dans son cas, le misérabilisme cher à la nécrophilie littéraire serait insuffisant : elle est morte enfant. C’est là une monstruosité du destin que les amateurs friands de « poètes morts jeunes » eux-mêmes hésiteraient à mettre en avant. Du reste, la toute jeune fille avait d’emblée fait un sort au mot malencontreux d’Anna de Brancovan sur « l’honneur de souffrir ». On ne sait pas bien dire si en la comparant dans ses Mythologies à Minou Drouet, Barthes aura été tellement plus heureux. Mais sa précocité exceptionnelle ne devrait pas pour autant interdire de constater que l’esprit de poésie soufflant où il veut, l’enfant prodige aura bénéficié de ses largesses.

Dans cet ensemble choisi, ce Chemin de sable éponyme, où deux crépuscules coïncident à la genèse de l’oeuvre — puisqu’en bouton Sabine écrit la page où il lui faut mourir —, le vertige de la souffrance et du pressentiment de la fin épousent une forme d’acuité de l’intelligence et de la sensibilité qui sont ce don de poésie dont les accents ne trompent pas :

Vous parler ? Non. Je ne peux pas. Je préfère souffrir comme une plante, / Comme l’oiseau qui ne dit rien sur le tilleul. » (…) On doit apprendre à souffrir seul. […] / Que nul ne vienne./ La plante ne dit rien. L’oiseau se tait. Que dire ? / Cette douleur est seule au monde, quoi qu’on veuille. / Elle n’est pas celle des autres, c’est la mienne. / Une feuille a son mal qu’ignore l’autre feuille. / Et le mal de l’oiseau, l’autre oiseau n’en sait rien

C’était bien le moins que d’intégrer l’impardonnable adolescente de la villa « Solitude » nom de sa demeure familiale dans le Sud-Ouest, au catalogue en progrès de notre Bibliothèque. Ne serait-ce que pour rafraîchir une mémoire éditoriale encline à l’oubli. Rien d’elle n’avait paru d’assez complet depuis 1958. Oui, il était grand temps.