La poésie d’Arséni Tarkovski (1907 – 1989), dont l’esprit et parfois les vers traversent les films de son fils Andreï, est depuis longtemps traduite en français dans les revues. Deux recueils publiés il y a plus de dix ans ont été vite épuisés et il ne subsiste plus d’accès à un choix raisonné et sensible de son œuvre. Le principe même d’un choix de poèmes appartenant à plusieurs époques, loin d’être une simple illustration, répond à la façon dont l’oeuvre fut publiée en Russie, nombre de poèmes circulant d’un livre à l’autre, l’un de ces ensembles étant même intitulé Poèmes d’années diverses.
Le premier recueil d’Arséni Tarkovski, en 1962 fut une révélation et le plaça d’emblée parmi les grandes voix de la poésie russe du vingtième siècle. Sa proximité avec Marina Tsetaïeva ou Anna Akhmatova et sa fidélité à Mandelstam ont profondément imprégné son écriture : celle-ci est marquée à la fois par l’ascendance Pouchkinienne et par les épreuves physiques et morales de la guerre et du stalinisme. Cette première publication, si tardive dans sa vie, témoigne de la gravité et de la rigueur avec laquelle Tarkovski se tient devant la poésie. Ce que ne démentent pas ces quelques vers :
Où me conduis-tu mon amie,
Ma destinée, ma destinée ?
On se traîne au bord d’un cercle,
Nous trébuchons sur notre tombe.
On ne voit pas la lune au-dessus de nous,
Et dans la neige s’enfoncent mes béquilles ;
Et nos âmes avec des yeux clairs
Regardent au-delà de la terre.
Christian Mouze chronique depuis vingt ans la littérature russe dans La Quinzaine littéraire. Traducteur d’O. Mandelstram, Anna Akhmatova, Varlam Chalamov, Marina Cvaetaeva, Victor Sosnora, Alexander Blok, Arseni Tarkovski et Vladimir Soloviev, notamment chez Harpo & (Marseille).
Dans une brève et dense postface, il écrit : À l’instar de Mandelstam, le fléau du tangible est toujours là pour vérifier la véracité du mot. Poésie d’une méditation du langage indissocié de son objet, elle distancie l’émotion brute, écarte l’aventure désincarnée du verbe. Elle n’abandonne pas le monde et son indéfinissable promesse. Par là même, elle interroge. Et son premier sens est de tourner le dos au non-sens.
Cet ensemble, édité en version bilingue, est clos par un court texte d’Anna Akhmatova sur Arséni Tarkovski.