Rédigé aujourd’hui, c’est à dire à l’heure des grands émois insipides que tolère la domination du capital et de la technologie quand elle ne les formule et ne les dissémine pas elle-même, malgré les catastrophes et les défaites accumulées, ce livre eût mérité un autre titre que l’on se plaît à imaginer ainsi : Misère de l’indignation.
La violence, oui ou non, sans le point d’interrogation attendu, a paru en 1986 en Allemagne, dans un contexte de révolte antinucléaire, après l’explosion de la bombe civile de Tchernobyl. Les mobilisations massives qui en sont le prétexte et l’objet ne concernent alors pas seulement l’industrie nucléaire mais aussi les multiples exactions des firmes de la chimie ou du béton.
Le point de départ en est l’entretien de Manfred Bissinger avec Günther Anders paru dans la revue Natur en 1986. Le livre intègre toutes sortes d’objections et de contributions adressées à Günther Anders lors de la parution d’un premier article. Il est également constitué d’entretiens, réels ou fictifs, dans lesquels on découvre un Anders politique, non seulement un critique radical de l’État mais aussi un auteur capable de provoquer une société entière pour l’inviter à réagir.
Nous avons adjoint en annexe un texte publié en revue à la même époque, qui prolonge les conclusions de l’auteur et en quelque sorte les dramatise, douloureusement.
Rien n’a démenti depuis 1986 la caractérisation d’état d’urgence qui conduit Anders à dénoncer la vanité d’une insoumission elle-même toujours soumise au « jeu démocratique » ou aux injonctions du désordre administré.
D’autres bombes ont été larguées depuis un quart de siècle, d’autres fleuves et d’autres mers intoxiqués, de nouveaux aéroports planifiés, et les âmes mutilées des hommes d’aujourd’hui toujours plus contraintes de s’adapter à la menace et aux « nécessités ».
Seuls les exaltés surestiment la force de la raison. La première chose qui incombe
au rationalisme, c’est de ne se faire aucune illusion sur la force de la raison, sur sa force de conviction.
C’est pour cela que j’aboutis toujours à la même conclusion : la non-violence ne vaut rien contre la violence.
[…] Ceux qui m’obligent à briser le tabou du meurtre peuvent être certains que je ne leur pardonnerai jamais.
Traduit par Christophe David
avec les contributions d’Elsa Petit et de Guillaume Plas