C’est à Edouard Dujardin et Félix Fénéon que l’on doit la première édition, sous le titre de Derniers vers, des poèmes donnés ici. Les deux écrivains firent en effet paraître posthume, en 1890 et à 57 exemplaires (sur souscription) cette suite, à côté des Fleurs de Bonne volonté et du Concile féerique. Si pour ces deux derniers ensembles les titres sont du poète, « Derniers vers » est une commodité d’usage à laquelle l’inventeur malgré lui du « monologue intérieur » et l’auteur des Nouvelles en trois lignes eurent recours. Les douze pièces d’un ensemble où culminent plusieurs sommets de l’art laforguien, avaient paru pour la plupart en préoriginale dans divers numéros de La Vogue en 1886. En 1894, Vanier les reprendra à son tour dans son éditiondes Oeuvres complètes. Par conséquent, voilà exactement 132 ans (sauf erreur de calcul ou omission bibliographique) qu’au fil des rééditions ces « derniers vers » — point final d’une oeuvre où les merveilles surabondent —, attendaient de paraître séparément. Ce simple exemple illustre l’une des vocations particulières de la Bibliothèque des Impardonnables : offrir au lecteur un recueil et lui seul, sans l’enchâsser dans une édition qui réunit plusieurs titres en un seul volume.
Nous ne rappellerons pas ici quel poète fut Jules Laforgue, ni quelle influence exercèrent son esprit, sa manière et son ton sur quelques-uns des plus grands poètes du XXe siècle et sa modernité, dont T.S. Eliot.
Entrons plutôt aux domaines où nous invite un automne où « les cors font tontaine », et sonnent l’hallali. C’est la saison où « tous les bancs sont mouillés », où l’« on ne peut plus s’asseoir ». Oui, c’est l’hiver qui vient. Aussi, au seuil de cette grande saison de l’âme, décrétons avec le poète, d’une voix unanime, un Blocus sentimental.