Qu’est-ce qu’une revue ? Compagnie, élection, désirs, hasards. Tout cela ensemble, dans le désordre, et dans l’ordre, les affinités, les dissemblances.
Qu’est-ce qu’une revue littéraire aujourd’hui ? Bien peu, il semble, dans le vacarme où surgit cet accord.
À distance du journal et de sa passion pour le flux du spectacle qu’il constitue autant qu’il le reflète, à rebours de cet assentiment généralisé donné au calcul et à la production kilométrique dans tous les domaines, nous attendons d’œuvres patientes, vives, conçues à l’écart, quelques effets : brûlures, énergie, liesse, clartés.
Le pari de la littérature est, rappelons-le, celui de l’injection d’une forme, pour reprendre un mot de Julien Gracq, dans la pensée, dans la parole – récit, ode, épisode, analyse, science, prière, pamphlet, anecdote, prophétie, tout ce qu’on voudra –, forme sans quoi cette pensée n’atteint pas au cœur, au centre, à l’intime. C’est aussi la singularité d’un ton, d’une vision, d’une présence, s’opposant à tout ce que le monde fabrique d’uniforme et de choses mort-nées.
Pari téméraire, défi, chances incertaines dans ce présent.
Il faut repenser à l’adieu d’un Paul Valéry, il y a presque un siècle, déjà : « Le monde qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons apparaître enfin le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière. »
Y sommes-nous ? Jamais le présent du monde, l’énorme déferlement de ses contraintes, les déformations qu’il imprime à la vie sous toutes ses formes, n’ont laissé si peu de place au sentiment de continuité de la vie humaine : traditions, filiations, promesses. Voyons l’oubli, voyons l’ardeur et les hourras des voyageurs de ce train follement lancé dans la nuit, voyons l’adhésion requise de foules démembrées à tout ce qui mutile ou brutalise le minuscule étonnement d’être au monde. Voyons le moyen carcéral des connexions, l’empire ordinaire des automates, la rumeur martelée des attractions, la fièvre des circulations, l’entassement infini des peuples, et l’enthousiasme exigé ! La cupidité et la soumission font figure de canon, d’idéal. Se donnent la main. Hideurs, mensonges, violences veulent être aimés.
La résistance qu’opposent des textes ou des images mûris dans le silence et l’inquiétude n’est rien moins que fragile, sa fortune est imprévisible.
À contre-courant, nous en appelons aux privilèges du livre, aux impressions que dépose dans la solitude une page de papier, à la magie durable d’un petit bloc imprimé et assemblé dignement, à cette « pureté d’ébat » que disait Mallarmé, à l’empreinte irréversible de quelques mots choisis, à la respiration parfois d’une seule phrase, au miracle d’un seul poème.
V.P.
La revue fario a été publiée jusqu’au numéro 13 avec le soutien du Centre National du Livre.
Les maquettes de la revue fario ont été réalisées par David Laranjeira.