C’est une erreur de croire que l’étranger est celui qui vient d’ailleurs, d’un autre pays, celui qui franchit une frontière pour nous approcher d’une façon ou d’une autre, dans notre langue, dans notre espace, dans nos familiarités. Non, l’étranger serait toujours à considérer commeun revenant . L’étranger, fondamentalement, nous ne le percevons pas comme quelqu’un qui vient, mais comme quelqu’un qui revient, qui fait retour dans ce que nous imaginons être chez nous. Il fait retour dans ce que nous croyons notre lieu.
C’est parce qu’il est avant tout quelqu’un qui revient qu’il ébranle nos assurances, nos supposées identités, et nous inquiète. L’étranger n’est pas étranger en raison d’une différence mais parce que nous le vivons comme celui ou celle qui fait retour avec des demandes, des attentes, peut-être même avec des droits, des exigences. Il revient nous rappeler quelque chose que nous avons vécu, oublié, exclu ou réprimé. Il revient, avec tout ce questionnement dont nous aurions pu nous croire dégagés, nous rappeler une histoire mais aussi nos limites et nos échecs, tout ce que nous avions éloigné de nous, ce que nous avions cru dépasser — par effet prétendu de développement, de progrès — dans la façon dont nous avons quitté l’enfance, dont nous nous sommes éloignés d’un temps premier, fût-il rêvé.
Revenant, l’étranger nous montre que nous n’étions pas chez nous. Car ce que nous imaginons être un « chez soi », n’a pu devenir tel qu’au prix d’un certain nombre de refoulements, d’écarts, d’éloignements, de séparations et de rejets. Il n’est en aucune façon établi dès le départ.
Et cette expérience de l’étranger commence dès l’expérience de notre propre langue. Dans notre langue, nous pensons être chez nous. Et pourtant cette langue dite maternelle, force est de constater que nous ne l’avons pas choisie, nous en sommes héritiers, et elle nous vient toujours de l’autre.
