Samuel Taylor Coleridge a commencé à tenir un carnet de notes en 1794 dans sa vingt deuxième année, lors d’une randonnée au Pays de Galles. Il devait en garder l’habitude quarante ans durant, jusqu’aux dernières semaines de sa vie. Ces carnets, le poète les qualifia lui-même de « carnets de poche », de « confidents », « d’amis » ou de « compagnons ». C’est dire le rôle et l’importance que ces notations au fil de la plume revêtent pour celui qui dit encore de ces « confidents » qu’ils sont sans doute les seuls qui ne « l’ont point trahi » et de ces « compagnons » que devant eux il n’avait « pas honte de se plaindre, de languir, de pleurer. »
La vitalité, l’acuité de l’observation font de ces fragments bien davantage qu’une simple introduction à l’œuvre poétique de l’auteur du Dit du Vieux marin. Dans cette merveilleuse traduction de Pierre Leyris, nous sommes saisis par l’urgence de cette écriture : « Souvent il pleurait dans son sommeil et il s’éveillait pour trouver / Son oreiller, sous sa joue, froid de larmes / Et pour trouver ses rêves / Si fidèles au passé, ou si prophétiques. »
Décrire un ciel, une lumière, un arbre, c’est à la fois apaiser la fièvre de la pensée et lui donner une direction. Les Carnets sont l’expression même de cette incandescence qui donnera par la suite les poèmes les plus bouleversants.
Ces pages des Carnets traduits par Pierre Leyris sont parus accompagnés d’un texte d’Antonin Artaud dans le dix-septième numéro de la revue L’Ephémère, à l’été 1971.
En un mot comme en quatre, Samuel Taylor Coleridge, comme un certain nombre de poètes notoires à qui comme à lui il fut ordonné de se taire par tels moyens de brimade occulte auxquels il serait temps enfin d’apprendre à résister, Coleridge, dis-je, avait eu vent d’une vérité qu’il n’a pu transmettre à personne et qu’il n’a pu faire passer dans ses poèmes que de très loin (…)
A. A.