Combien sont-ils ? Et comment le sont-ils, sortis des rails, celles et ceux que la violence des us et des règles de ce monde a jetés sans bruit et sans appel dans le dehors ? À même les trottoirs et les dalles que nous empruntons chaque jour. C’est à approcher cette condition, cette forme d’absence à soi et aux autres que s’évertue, non sans mélancolie, ce recueil de Mary-Laure Zoss.
Ne plus être vu, avoir presque oublié le familier du foyer, de la lampe et de l’eau, ne plus parler que dans le murmure rauque, ne plus même rêver d’un lendemain qui diffère, n’avoir d’autre horizon que l’arête de béton ou d’asphalte, les murs de l’impasse, les gravats de la vie des autres.
Et pourtant savoir au fond de soi que réside celée, comme au secret de la prison des jours, une histoire, peut-être. Sentir même vaguement qu’on a eu une enfance, qu’on a connu des bouts de campagne, une sorte de famille, des matins et des chants d’oiseaux. Autrefois.
Ce que laissent entrevoir ces pages, c’est peut-être le dénuement que requiert le poème, le silence dans lequel il faut entrer avant d’oser, avant d’avancer, prudemment, sobrement, en tremblant, quelques mots qui feraient phrase.
La voix de Mary-Laure Zoss dessine ici, avec une grâce presque douloureuse, tragique, ce chemin.
Et les dessins d’Ena Lindenbaur lui font, dans la délicatesse mais aussi la rigueur de leur hésitation, miraculeusement écho.
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[…] nos noms de figurants. qu’ils esquintent à tout bout de champ. ou consignent aux registres matricules. auxquels est ôtée leur résonance.
sortis à jamais de la couleur. de l’appel des mères.
et la honte d’être vu tombés.
M.-L. Z.

