Nous devrions peut-être nous engager dans la moindre marche avec
un esprit d’éternelle aventure sans retour – prêts à renvoyer nos cœurs embaumés comme des reliques vers nos royaumes affligés.
Henry David Thoreau
GÜNTHER ANDERS
Günther Anders (1902-1992) occupe une place à part dans le collège philosophique de son temps. Il fut l’élève de Husserl, de Cassirer, de Scheler et de Heidegger (auquel il s’opposa radicalement dans un essai paru en 1948, Sur la pseudo-concrétude de Heidegger, Sens&Tonka, 2003) et son œuvre est contemporaine de celles de Benjamin, d’Adorno, de Jonas, de Levinas (qui traduisit l’un de ses premiers textes) ou d’Hannah Arendt dont il fut le premier mari. Son parcours est celui de l’exil : hors de son pays d’origine, puisqu’il émigra en France puis aux Etats –unis de 1933 à 1950 et ne voulut pas vivre en Allemagne lors de son retour en Europe ; hors des champs académiques de la philosophie et de la carrière (il refusa tous les postes qui lui furent proposés à l’université) ; hors de son patronyme : Anders, l’ « autre », devint son nom de plume alors que, travaillant pour gagner sa vie dans un journal berlinois, il signait la moitié des articles et que le rédacteur en chef s’en inquiéta.
Ce sont les séismes de l’époque et l’urgence d’y répondre qui dès les années trente et jusqu’à la fin de sa vie lui semblèrent, impérativement, l’enjeu et l’objet de la réflexion. Son écriture emprunte toutes sortes de chemins : romans, critiques, poèmes, essais, contes. Son geste premier est de refuser l’isolement d’une pensée de l’Etre, de situer l’homme au cœur de ses oeuvres, de ne « pas laisser à l’Etre ce qui est à l’Etre et à César ce qui est à César. » Mais il en souligne très vite l’extrême difficulté : un empêchement à voir et à sentir des phénomènes qui n’apparaissent plus ou qui ne sont plus à notre échelle.